[UNE CONCILIATION ENTRE LE DROIT DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE ET LA LIBERTE DE CIRCULATION DES MARCHANDISES]
- Habbine Estelle Kim
- 18 avr. 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 mai 2024
[PROPRIETE INDUSTRIELLE – CONTREFACON – AMENAGEMENT DE CHARGE DE LA PREUVE – QUESTION PREJUDICIELLE – LIBERTE DE CIRCULATION DES MARCHANDISES ]

🚨 Dans certaines circonstances très limitées, la charge de la preuve de l’épuisement du droit conféré par une marque européenne ne pèse pas exclusivement sur la partie défenderesse à l’action en contrefaçon.
(CJUE 18 janvier 2024, Hewlett Packard Development Company LP c/ Senetic S.A., C-367/21)
⚖️ La société Hewlett Packard Development Company LP (« Hewlett Packard»), titulaire des droits exclusifs sur les marques de l’Union européenne verbale et figurative « HP », commercialisait des produits d'équipement informatique revêtus de lesdites marques via un réseau de distribution sélective.
La société Senetic S.A. (« Senetic »), un tiers non autorisé, a introduit en Pologne des produits revêtus de la marque dont Hewlett Packard était titulaire. Elle avait préalablement acquis les produits auprès des vendeurs européens. Ces derniers lui avaient donné l’assurance que la commercialisation desdits produits dans le marché intérieur ne porterait pas atteinte aux droits exclusifs du titulaire. Par précaution, la société Senetic avait également sollicité la confirmation sur ce sujet auprès des distributeurs agréés de la société Hewlett Packard, mais en vain.
La société Hewlett Packard a engagé une action en contrefaçon à l'encontre de la société Senetic pour faire cesser l'atteinte à ses droits exclusifs.
Dans ce contexte, le tribunal régional de Varsovie (Pologne) a sollicité une décision préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne (« la Cour ») au titre de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (« TFUE »).
⚠ En principe :
1. L’enregistrement d’une marque européenne confère à son titulaire un droit exclusif (mais pas absolu).
2. Par exception, le droit du titulaire conféré par la marque européenne est épuisé lorsque les produits ont été importés ou commercialises dans le marché intérieur sous cette marque, soit par le titulaire ou par un tiers qui a obtenu son consentement. Dans ce cas, le titulaire ne dispose plus du droit d’interdire ni de s’opposer à la commercialisation ultérieure desdits produits dans le marché intérieur, sauf s’il justifie de motifs légitimes.
3. En tout état de cause, les mesures, procédures et réparations doivent être effectives, proportionnées et dissuasives (Directive 2004/48/CE)
S’agissant de la charge de preuve, la Cour a jugé qu’un équilibre entre les droits exclusifs en matière de propriété intellectuelle et de libre circulation des marchandises doit être recherché (Règlement (CE) no 207/2009, abrogé et remplacé par le Règlement 2007/1001 ; Règlement 2017/1001 ; Articles 34 et 36 du TFUE).
1. Il est en principe compatible avec le droit européen que selon le droit national d’un Etat membre, la charge de la preuve pèse sur la partie qui invoque le moyen de défense en cause.
2. Néanmoins, les exigences découlant de la protection de la libre circulation des marchandises peuvent justifier que la répartition de la charge de preuve de l’épuisement des droits fasse l’objet d’un aménagement par la juridiction nationale compétente. Cette exception s’applique restrictivement.
Considérant les particularités de l’espèce, soit les éléments suivants :
1. l’affaire concernait l’épuisement des droits conférés par une marque européenne dans le cadre d’une action en contrefaçon en matière de propriété intellectuelle à l’encontre de la société Senetic ;
2. en parallèle, la société Senetic tirait ses droits de la libre circulation des marchandises, une des quatre libertés de l’Union européenne ;
3. il existait un risque de cloisonnement des marchés nationaux, favorisant le maintien des différences de prix existant entre les Etats membres (Harman International Industries, 17 novembre 2022, C-175-21) ; et
4. la société Hewlett Packard exploitait un système de distribution sélective ;
5. la société Hewlett Packard disposait d’un outil informatique avec une base de données répertoriant les exemplaires des produits identifiés par un numéro de série ainsi que leur marché de destination. Or, les produits ne comportaient aucun marquage permettant aux tiers d’identifier le marché sur lequel ils sont destinés à être commercialisés. En d'autres termes, il n’était pas possible aux tiers d’identifier le marché sur lequel ils sont destinés à être commercialisés;
faire peser la charge de preuve du premier lieu du mis au marché des produits revêtus de la marque du titulaire à la défenderesse à l’action en contrefaçon serait susceptible de permettre au titulaire de contrer les importations parallèles desdits produits, résultant en une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises.
Ainsi, la charge de la preuve de l’épuisement du droit conféré par une marque européenne ne pèse exclusivement sur la partie défenderesse à l’action en contrefaçon.
1. Il incombe tout d’abord au titulaire des droits de démontrer qu’il a réalisé ou autorisé la première mise en circulation des exemplaires des produits concernés en dehors du marché intérieur.
2. Ensuite, la défenderesse devra établir que ces mêmes exemplaires ont été importés dans le marché intérieur par le titulaire de la marque ou avec son consentement.
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