Le droit aux congés payés en cas d’accident ou de maladie non professionnelle
- Habbine Estelle Kim
- 12 nov. 2024
- 8 min de lecture
[SOCIAL - ARRET DE TRAVAIL - MALADIE - ACCIDENT - CONGES PAYES]

Selon l'ancien Code du travail, le contrat de travail suspendu en raison d'un accident ou d'une maladie sans caractère professionnel ne permettait pas l'acquisition de droits à congés payés.
Désormais, l’article 37 de la Loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (DDADUE), a codifié les principes issus des trois arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation le 13 septembre 2023 (pourvois n° 22-17.340 à 22-17.342, n° 22-17.638, n° 22-10.529 et n° 22-11.106).
Dans ces arrêts, la Haute juridiction conclut au respect du principe essentiel du droit de l'UE que constitue le droit aux congés payés, applicable aux personnes ayant la qualité de « travailleurs », sans condition liée au travail effectif. Elle estime qu’il convient de partiellement écarter l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du Code du travail, qui subordonne l’acquisition des congés payés à l’exécution d’un travail effectif. Cette conclusion repose sur les principes de proportionnalité et d'effet utile et de primauté du droit européen :
« 7. Aux termes de l'article L. 3141-3 du code du travail, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.
8. Le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C-570/16, point 80).
9. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, arrêt du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C-350/06, point 41 ; CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
10. La Cour de justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).
11. Par arrêt du 6 novembre 2018 (CJUE, arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C-569/16 et C- 570/16), la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. (…)
13. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l'exécution d'un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l'Union européenne.
14. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.
15. Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.
16. La cour d'appel, après avoir, à bon droit, écarté partiellement les dispositions de droit interne contraires à l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, a exactement décidé que les salariés avaient acquis des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle. »
A cet égard, il ressort des termes du communiqué du 13 septembre 2023 de la Cour de cassation intitulé « Congé payé et droit de l’Union européenne » que :
- « les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle. ;
- en cas d’accident du travail, le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail ;
- la prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile. »
Ainsi, la Loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 et vise à mettre en conformité le droit du travail français avec les exigences du droit de l’Union européenne en matière de congés payés. Elle s'applique rétroactivement pour les périodes comprises entre le 1er décembre 2009 et le 31 mars 2024.
Le 17 novembre 2023, le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur le 5° de l’article L. 3141-5 du Code du travail.
La Décision n° 2023-1079 de conformité du Conseil constitutionnel rendue le 8 février 2024 a permis d’ajouter un tempérament :
« 14. En second lieu, selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
15. La maladie professionnelle et l’accident du travail, qui trouvent leur origine dans l’exécution même du contrat de travail, se distinguent des autres maladies ou accidents pouvant affecter le salarié.
16. Ainsi, au regard de l’objet de la loi, le législateur a pu prévoir des règles différentes d’acquisition des droits à congé payé pour les salariés en arrêt maladie selon le motif de la suspension de leur contrat de travail.
17. Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi. »
Il résulte de ce qui précède que la différence de traitement entre les arrêts de travail se justifie dans le cadre du calcul du droit aux congés payés en fonction de la nature des absences (arrêt de travail pour accident ou maladie non professionnel).
En principe :
- Pour chaque mois de travail effectif chez le même employeur (Article L3141-3 du Code du travail) : Le salarié acquiert 2,5 jours ouvrables de congés payés par mois travaillé (soit dans la limite de 30 jours ouvrables de congés payés pour une année complète de travail pendant la période de référence du 1er juin de l'année N-1 au 31 mai de l'année N, sauf si une convention collective ou un accord collectif d'entreprise prévoit une autre période)
Ce méthode de calcul s’applique, quel que soit la nature de son contrat de travail (CDI, CDD, Intérim) et sa durée (à temps complet ou partiel).
En cas d’arrêt de travail, les nouveaux articles L3141-1 et suivants du Code du travail prévoient que:
- Pour maladie d’origine professionnelle ou accident du travail (Article L3141-5 point 5° du Code du travail) :
Le salarié bénéficie de 2.5 jours ouvrables de congés payés par mois d’absence, sans limite d’acquisition (soit dans la limite de 30 jours ouvrables pour une année complète de travail pendant la période de référence du 1er juin de l'année N-1 au 31 mai de l'année N sauf si une convention collective ou un accord collectif d'entreprise prévoit une autre période)
Ainsi, les périodes d’arrêt de plus d’un an sont assimilables à du temps de travail effectif.
- Pour maladie d’origine non professionnelle ou accident ordinaire (Articles L3141-4 , L3141-5 point 7°, L3141-5-1 et L3141-6 du Code du travail) :
Le salarié bénéficie de 2 jours ouvrables de congés payés par mois d’absence (soit dans la limite de 24 jours ouvrables pendant la période de référence du 1er juin de l'année N-1 au 31 mai de l'année N sauf si une convention collective ou un accord collectif d'entreprise prévoit une autre période).
La période d’arrêt est ainsi assimilé à du temps de travail effectif.
Cette limite s’apprécie en prenant compte des jours de congés légaux et conventionnels déjà acquis (ancienneté, enfant à charge…).
Devoir d’information de l’Employeur (Art L3141-19-3 du Code du travail)
L’Employeur a désormais l’obligation d’informer son salarié des éléments suivants:
- Le nombre de jours de congés payés disponibles, qu'ils aient été acquis ou non pendant des périodes de maladie ou d'accident du travail.
- La date limite jusqu'à laquelle ces congés peuvent être pris.
Cette information doit être réalisée :
- Par tout moyen garantissant la bonne réception par le salarié : courrier recommandé avec accusé de réception (LRAR), lettre remise en main propre contre décharge, e-mail, ou mention sur le bulletin de paie.
- Dans le délai d'un mois suivant la reprise du travail.
- Après chaque arrêt.
et conditionne le point de départ du délai de report (hors cas particulier énoncé ci-dessous).
Délai de report de la prise des congés payés (Art L3141-19-1 et L3141-19-2 du Code du travail)
Un salarié qui n’a pas pu prendre tout ou partie de ses congés payés durant la période prévue, en raison d’une maladie ou d’un accident, dispose d’une période de report de 15 mois pour les utiliser (sauf si un accord d'entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche fixe une durée de report supérieure).
À l’issue de ce délai de 15 mois, le droit à congé est définitivement perdu : le salarié ne pourra ni utiliser ces congés ni prétendre à une indemnité compensatrice.
Pour rappel, si le contrat de travail est rompu avant que le salarié n’ait pu prendre la totalité de ses congés payés, y compris les congés reportés (en cas de démission ou de licenciement pour inaptitude, par exemple), l'employeur est tenu de lui verser une indemnité compensatrice de congés payés.
Délai pour réclamer des congés payés pour un arrêt maladie délivré avant le 24 avril 2024 :
- Pour les salariés encore en poste : 2 ans à compter de la publication de la loi, soit jusqu'au 24 avril 2026 (forclusion)
- Pour les salariés ayant quitté l'entreprise (Article L. 3245-1 du Code du travail) : 3 ans à compter de la date de la rupture du contrat de travail (prescription).
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