[ANTI-DOPAGE : LA RESPONSABILITE DE L'ATHLETE PROFESSIONNEL]
- Habbine Estelle Kim
- 4 mai 2024
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 6 mai 2024
[TRIBUNAL ARBITRAL DU SPORT - RESPONSABILITE - ATHLETE PROFESSIONNEL - MEDECIN DE SPORT - ANTI DOPAGE - NEGLIGENCE - FAUTE - STANDARD]

Bien que la sanction peut être modulée en vue des circonstances spécifiques à l'espèce, la responsabilité de l'athlète peut être engagée en matière d'anti-dopage, même en cas de consomption d'un médicament prescrit par un médecin spécialisé en médicine de sport, dès lors qu'il contient des substances interdites.
Monsieur BOSCQ est un joueur professionnel de hockey sur glace de niveau international au sens de la définition établie par la fédération internationale de hockey sur glace (« IIHF ») dans son règlement antidopage.
Dans la nuit du 3 au 4 décembre 2021, Monsieur BOSCQ a été soumis à un contrôle antidopage diligenté par l’Agence française de lutte contre le dopage (« AFLD »), et a soumis les échantillons A et B (n° 7042108), scellés le 4 décembre à 00h04. Monsieur BOSCQ avait déclaré dans le Formulaire de Contrôle du Dopage (« FCD ») avoir pris des compléments alimentaires (plus précisément des protéines) mais pas de médicament, et n'avoir reçu aucune infiltration.
Le 21 décembre 2021, l’analyse de l’échantillon A effectuée par le Laboratoire antidopage français accrédité par l’AMA (« Laboratoire »), a révélé la présence de « Tuaminoheptane » (« Stimulants » (catégorie S6) selon la Liste des interdictions (2021) de l’AMA) à hauteur de 259 ng/mL.
Le 10 janvier 2022, l’AFLD a informé Monsieur BOSCQ de l’ouverture d’une procédure disciplinaire conformément à l’article 7.2 du règlement disciplinaire de l’AFLD et de la possibilité de demander l’analyse de l’échantillon B.
Le 11 janvier 2022, Monsieur BOSCQ a soumis à l’AFLD une demande d’autorisation d’usage à des fins thérapeutiques (« AUT ») à effet rétroactif. L’AFLD a répondu que l’autorité compétente pour examiner cette demande était l’IIHF, Monsieur BOSCQ étant un athlète de niveau international (article 4.4.3 du Code Mondial Antidopage).
Le 13 janvier 2022, Monsieur BOSCQ a adressé sa demande d’AUT rétroactive à l’IIHF.
Le 19 janvier 2022, Monsieur BOSCQ a expliqué à l’AFLD que du Rhinofluimucil avait été prescrit par son médecin pour son rhume persistant, les lavages à l’eau de mer ayant été insuffisants.
Le 3 mars 2022, l’IIHF a rejeté la demande d’AUT à effet rétroactif, notamment en soulevant le fait que des alternatives thérapeutiques aurait pu traiter l’affection dont il souffrait.
Le 17 mars 2022, Monsieur BOSCQ a fourni des explications complémentaires à l’AFLD : son Médecin traitant a convenu avoir commis une erreur en lui prescrivant du Rhinofluimucil contenant de la Tuaminoheptane à dosage négligeable. Monsieur BOSCQ a également avoué avoir manqué à son devoir de vigilance en ne vérifiant pas les indications sur la notice du médicament et sur la liste des produits interdits, mais a précisé qu’il n’avait pas l'intention de se doper en vue d’affecter ses performances.
Le 22 juin 2022, l’AFLD a proposé à Monsieur BOSCQ, et ce dernier a accepté, de reconnaître la violation de l’article 2.1 du règlement disciplinaire de l’AFLD, renonçant à une audience devant la commission des sanctions en acceptait les conséquences proposées.
Le 23 juin 2022, l’AFLD a rendu sa décision n°D.2022-27 (la « Décision attaquée »), condamnant Monsieur BOSCQ à une période de suspension de 2 mois jusqu’au 22 août 2022 inclus (Article 10.14.1 du règlement disciplinaire de l’AFLD) et ordonnant une publication du résultat de la procédure disciplinaire sur le site internet de l’AFLD pour la durée de la suspension. L’AFLD a estimé qu’il y avait une absence de faute ou de négligence significative de la part de Monsieur BOSCQ et qu’aucun élément ne permettait d’établir quelconque intention de commettre une violation des règles antidopage.
Le 3 août 2022, la fondation de droit suisse Agence Mondiale Antidopage (AMA) a interjeté appel près le Tribunal Arbitral du Sport (le « TAS ») à Lausanne, Suisse (Articles 13.1 , 13.1.1, 13.2.3 et 13.2.3(f) du règlement disciplinaire de l’AFLD ; Article R47 du Code de l’arbitrage en matière de Sport ; Article 186 de la Loi fédérale sur le droit international privé) (TAS 2022/A/9083).
Le 19 décembre 2022, l’audience s’est tenue au siège du TAS à Lausanne.
L’AMA a sollicité une réévaluation à la hausse la durée de la suspension de Monsieur BOSCQ, entre 18 et 24 mois, pour absence d’appréciation totale par l’AFLD du « degré de faute » qu’elle qualifierait comme « normale » au vue de la jurisprudence en la matière (Article 10.6.1.1 du règlement disciplinaire de l’AFLD ; Article R58 du Code de l’arbitrage en matière de Sport).
Dans ce contexte, l’AMA rappelle qu’il existe deux catégories de faute, soit (CAS 2017/A/5301 et CAS 2017A/5302):
- le « degré normal de faute » s’étendant de 12 à 24 mois de suspension, avec un niveau « normal standard », entraînant une suspension de 18 mois ; et
- le « degré léger de faute » s’étendant de 0 à 12 mois de suspension, avec un niveau « léger standard ».
Ensuite, l’AMA rappelle la méthodologie prétorienne dans l’évaluation du degré de faute d’un athlète (CAS 2013/A/3327 et CAS 2013/A/3335):
- Dans un premier temps, il convient d’examiner les éléments objectifs de l'espèce en vue de catégoriser la violation dans l’une des deux catégories de faute susvisées.
Les éléments objectifs incluent la possibilité de l’athlète de :
o lire l’étiquette du produit utilisé (ou s’assurer d’une autre manière des ingrédients) ;
o vérifier par recoupement tous les ingrédients figurant sur l’étiquette avec la liste des substances interdites ;
o effectuer une recherche sur Internet concernant le produit ;
o s’assurer que le produit provient d’une source fiable ; et
o consulter des experts appropriés en la matière et leur donner des instructions diligentes avant de consommer le produit.;
- Dans un deuxième temps, des éléments subjectifs peuvent être considérés en vue d’ajuster (à la hausse ou à la baisse) la durée de la sanction prévue par la catégorie déterminée, en partant du niveau « standard », ou de changer à titre exceptionnel la catégorie préalablement déterminée sur base des éléments objectifs.
Les éléments subjectifs incluent les considérations liées à :
o l’âge de l’athlète ;
o l’expérience de l’athlète ;
o les éventuelles problèmes de langue ou de l’environnement de l’athlète ;
o le niveau d’éducation antidopage reçu par l’athlète (ou raisonnablement accessible par lui) ; et
o d’autres obstacles personnelles ;
sans que ceux-ci puissent servir de motifs autonomes pour accorder une réduction de la période d’inéligibilité.
L’AMA met en exergue le fait que dans un contexte de prescription médicale, un devoir de « vigilance accrue » par les athlètes s’imposent en raison du risque significatif inherent que le médicament puisse contenir des substances interdites (CAS 2008/A/1565 ; CAS 2016/A/4609). En d’autres termes, l’AMA prétend qu’un athlète ne peut s’exonérer de ses responsabilités en se cachant derrière la faute de son médecin, qui en tout état de cause lui serait directement imputable (CAS 2014/A3798 ; CAS 2017/A/5015 & 5110 ; CAS 2018/A/5581 ; Ordonnance n° 2018-1178).
L’AFLD rappelle que les formations arbitrales ne doivent procéder au remplacement d’une sanction uniquement en cas d’une sanction initiale « manifestement disproportionnée » (CAS 2016/A/4840 ; Code Mondial Antidopage de 2021).
L’AFLD relève le fait que la sentence Cilic est fondée sur le Code Mondial Antidopage de 2009 faisant mention de « l’absence de faute ou de négligence » et de « l’absence de faute ou de négligence significative », sans contenir quelconque instruction sur l’appréciation du degré de faute d’un athlète.
Bien que Code Mondial Antidopage de 2015 introduit la définition d’une « faute », en évoquant « circonstances considérées » pour évaluer le degré de faute d’un athlète, aucune distinction formelle entre les critères objectifs et subjectifs n’est faite (Code Mondial Antidopage de 2015, Annexe I).
L’AFLD maintient sa position que l’ensemble des éléments considérés justifieraient une sanction entre 0 et 12 mois pour faute léger, le standard de faute étant fixé à 6 mois. Les facteurs de détermination du degré de faute léger ainsi que la durée réduite de la sanction incluent notamment le jeune âge de l’athlète, son manque d’expérience en matière de dopage, l’existence d’une prescription par un médecin de sport, le fait que l’usage est intervenu en dehors de la période de compétition et sans lien avec la performance sportive, l’absence de faute ou de négligence significative et l’expérience de l’athlète.
L’AFLD surligne l’évolution tant à l’économie générale du Code Mondial Antidopage que le règlement disciplinaire de l’AFLD et le Standard international de l’AMA sur l’AUT. L’AMA peut donner son accord, à sa « libre et entière appréciation », pour qu’une organisation antidopage délivre à titre exceptionnel une AUT rétroactive même lorsque les conditions de délivrance de l’AUT ne sont pas satisfaites, si, au vu de l’objectif du CMA, il serait manifestement injuste de ne pas l’accorder.
Monsieur BOSCQ s’aligne avec l’AFLD.
Au fond, le TAS considère que le point de départ du niveau de diligence attendu des athlètes réside dans leur responsabilité première de s’assurer qu’ils respectent les dispositions antidopage et qu’aucune substance interdite ne pénètre dans leur organisme (CAS 2017/A/5320). Ensuite, le degré de risque qui aurait dû être perçu par l’athlète est pris en compte. Les circonstances considérées lors de l’évaluation du degré de faute doivent être spécifiques et pertinentes, qu’elles constituent des éléments objectifs ou subjectifs. Le degré de faute d’un athlète est évalué au regard de l’écart qu’il a commis par rapport au standard attendu. Lorsqu’il s’agit d’évaluer le degré de faute d’un athlète pour déterminer la sanction à imposer en application du règlement disciplinaire de l’AFLD (ou de la version 2021 du Code Mondial Antidopage), il y a lieu de tenir compte des éléments objectifs auxquels il est fait référence, à titre non exhaustif, dans ces textes.
Le TAS a décidé en faveur de la considération des éléments objectifs dégagés par sa jurisprudence, pour évaluer, au cas par cas, le degré de faute des athlètes, même lorsque la version 2021 du Code Mondial Antidopage trouvait à s’appliquer (CAS 2021/A/7983 & 8059). Le TAS a notamment fait valoir que la méthodologie prétorienne demeure utile et « garde tout intérêt » pour l’application de la version 2021 du Code Mondial Antidopage.
Le TAS a estimé que Monsieur BOSCQ a « ignoré une étape élémentaire de son devoir de diligence », ce qui constitue un écart au standard du « comportement attendu » d’une importance certaine. Ainsi, la faute de Monsieur BOSCQ a été catégorisée dans le volet « normal » de la faute, entraînant une suspension entre 12 et 24 mois avec un standard de 18 mois. Ensuite, le TAS a estimé qu’il n’existait pas en l’espèce de circonstances exceptionnelles étroitement liées aux éléments subjectifs permettant de changer la catégorie de la faute. Néanmoins, la considération des éléments subjectifs permettent d’appliquer la durée inférieure de la sanction, soit 14 mois dans la tranche de 12 à 24 mois.
Le TAS a par ailleurs invoqué l’effet utile du Code Mondial Antidopage.
En conséquence, et par sa sentence arbitrale du 31 octobre 2023, le Tribunal Arbitral du Sport a :
- Déclaré l’appel déposé le 3 août 2022 fondé;
- Annulé la décision de l’AFLD du 23 juin 2022 (n°D.2022-27);
- Condamné Monsieur BOSCQ à une période de suspension de 14 mois moins la période de suspension purgée par Monsieur BOSCQ entre le 22 juin et le 22 août 2022 au titre de la violation antidopage (articles 2.1 du règlement disciplinaire de l’AFLD).
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