[LE RAP - LES LIMITES DE LA LIBERTE D’EXPRESSION ET DE LA CREATION ARTISTIQUE]
- Habbine Estelle Kim
- 18 avr. 2024
- 2 min de lecture
[DROIT FONDAMENTAL - LIBERTE D'EXPRESSION - CREATION ARTISTIQUE - LIMITES]

🚨 La liberté d’expression est renforcée dans le domaine de la création artistique, mais pas illimitée.
(Cour d'appel de Versailles, 18 février 2016, 15-02687)
⚖️L'affaire précitée concernait un rappeur poursuivi pour des paroles d’une chanson intitulée « Suce ma bite pour la Saint-Valentin » présentée lors d’un concert public du 13 mai 2009 au Bataclan à Paris. Le chanteur a interprété huit chansons, contenant de multiples propos à caractère incitatif à la haine, à la violence et à la discrimination à l’égard des femmes en général, tels que les suivants :
« (...) les meufs c'est des putes. (...) (Mais ferme ta gueule) ou tu vas t'faire marie-trintigner (...) J'respecte les schnecks avec un Qî en déficit Celles qui encaissent jusqu'à finir handicapées physiques (...) ».
La Cour d’appel de Versailles a commencé par rappeler qu’une injure constitue « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferment l’imputation d’aucun fait ».
Ensuite, elle a procédé à l’examen des propos litigieux à la lumière de la liberté d’expression renforcée s'appliquant dans le domaine de la création artistique (Article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; Article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales). Elle précise qu’un juge ne dispose pas d’un pouvoir de censure « qui s’exercerait au nom d’une morale nécessairement subjective de nature à interdire des modes d’expression ».
Elle apprécie qu’une expression peut constituer « le reflet d’une société vivante » et doit ainsi être interprétée compte tenue du style de création artistique en cause. En l’espèce, les paroles provenaient d’un style de création artistique connu comme « le rap (…) un mode d'expression par nature brutal, provocateur, vulgaire voire violent puisqu'il se veut le reflet d'une génération désabusée et révoltée. »
Elle considère dès lors l’élément mental de l’auteur : est-ce que l’auteur a voulu d'une part injurier les femmes à raison de leur sexe et d'autre part, provoquer à la violence, à la haine ou à la discrimination à leur égard ? Alternativement, est-ce que les propos visés expriment une malaise d'une partie de sa génération face à un « avenir incertain, aux frustrations, à la solitude sociale, sentimentale et sexuelle »?
Considérant qu’une écoute exhaustive et non tronquée des chansons dans leur globalité permettait de déceler une forme de distanciation et de fictivité entre le discours et son auteur, ce dernier a été relaxé des fins de la poursuite.
⚠ Bien que les artistes-musiciens disposent d'une liberté d'expression renforcée, cette dernière n'est pas systématique ni automatique. Dans certaines circonstances, les rappeurs risquent de voir leurs concerts suspendus par des décisions administratives ou de justice.
Effectivement, des décisions préfectorales avaient conduits à la suspension des concerts du rappeur Freeze Corleone en 2023 pour causes de « références antisémites faisant l’apologie du nazisme » dans des chansons. Plusieurs concerts prévus en France ont été suspendus ou reportés en 2024, en raison des ordonnances du juge des référés et des décisions du tribunal administratif. Les affaires de Mr. Freeze sont désormais portés à l'attention du Conseil d’Etat.
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