Le temps de travail des internes en médecine en France
- Habbine Estelle Kim
- 2 juin
- 5 min de lecture

🏛️ Durée maximale et obligations de service des internes
Le temps de travail des internes en médecine en France est encadré par les articles R.6153-2 et suivants du Code de la santé publique, le décret n° 2015-225 du 26 février 2015 et l’Instruction DGOS/RH4/2014/128 du 22 avril 2014.
Par ailleurs, l'instruction interministérielle du 19 septembre 2024 aborde les obligations de service et le temps de travail des étudiants de troisième cycle des études de médecine, odontologie et pharmacie (DGOS/RH5/DGESIP/2024/101; c.f. Le Bulletin officiel Santé – Protection sociale – Solidarité n° 2024/29 du 15 octobre 2024) .
Ces textes fixent une durée maximale de travail de 48 heures par semaine, calculée en moyenne sur une période de 3 mois.
Ce plafond inclut :
Les heures effectuées en stage ;
Les gardes et astreintes, y compris les déplacements et le temps de trajet ;
La demi-journée de formation universitaire.
Le respect du temps de travail vise à garantir un équilibre raisonnable entre les exigences de la formation et l’exercice professionnel supervisé, condition indispensable à une préparation progressive au plein exercice des fonctions médicales.
📅 Répartition hebdomadaire des obligations de service
Les obligations de service des internes sont réparties sur dix demi-journées par semaine :
En stage : 8 demi-journées de service effectif dans la structure d’accueil, avec une pause minimale obligatoire de 15 minutes par demi-journée.
Hors stage : 2 demi-journées :
Une demi-journée de formation encadrée par le coordonnateur de spécialité, comptabilisée comme temps de travail effectif.
Une demi-journée de temps personnel dédiée à l’autoformation (rédaction de la thèse, consolidation des connaissances et compétences), non comptabilisée comme temps de travail effectif.
🌙 Gardes, astreintes et repos de sécurité
1. Gardes
Une garde de nuit par semaine, équivalente à deux demi-journées.
Une garde de 24 heures (dimanche ou jour férié) par mois, équivalente à quatre demi-journées.
Les horaires de garde débutent au plus tôt à 18h30 et se terminent au plus tôt à 8h30 le lendemain matin.
Un interne ne peut être sollicité au-delà de 24 heures consécutives sauf cas exceptionnel pour garantir la continuité des soins et si le tableau de garde ne peut être complété autrement.
(Arrêté du 10 septembre 2002 relatif aux gardes des internes, des résidents en médecine et des étudiants désignés pour occuper provisoirement un poste d’interne et à la mise en place du repos de sécurité ; Arrêté du 6 novembre 1995 relatif à l’organisation et à l’indemnisation des gardes médicales effectuées par les internes dans les établissements publics de santé)
2. Astreintes
Mises en place principalement dans les centres hospitaliers universitaires.
L’interne doit rester disponible sans présence constante obligatoire sur site.
Les périodes d’astreinte couvrent les horaires en dehors du service normal, généralement entre 18 h 30 et 8 h 30, ainsi que les dimanches et jours fériés.
En cas d’intervention, le temps de trajet et d’intervention est comptabilisé comme temps de travail effectif. Même en l’absence de déplacement, l’astreinte donne lieu à une indemnité forfaitaire.
(Arrêté du 6 août 2015 relatif aux astreintes des internes)
3. Repos de sécurité
Le repos d’une durée de 11 heures consécutives doit impérativement être pris dès la fin d’une garde ou d’une demi-garde de nuit, ainsi qu’après le dernier déplacement effectué lors d’une astreinte.
Est interdit toute activité hospitalière, universitaire ou ambulatoire.
L’établissement est responsable de garantir l’effectivité de ce repos.
(Arrêté du 10 septembre 2002 relatif aux gardes des internes, des résidents en médecine et des étudiants désignés pour occuper provisoirement un poste d’interne et à la mise en place du repos de sécurité; Article R6153-2 du Code de la santé publique)
📋 Planification et suivi du temps de travail
Un tableau de service nominatif prévisionnel doit être élaboré mensuellement, détaillant :
Les journées de stage.
Les gardes et astreintes.
Les formations.
Les repos de sécurité.
Les jours de récupération.
Ce tableau est établi par le praticien responsable de l’entité d’accueil, en lien avec le coordonnateur de la spécialité, et validé par le directeur de la structure d’accueil.
Des relevés mensuels et trimestriels des obligations de service réalisées sont mis à disposition de l’interne et du coordonnateur de la spécialité.
(Article R6153-2-2 du Code de la santé publique; Arrêté du 30 juin 2015 relatif aux modalités d’élaboration et de transmission des tableaux de services dédiés au temps de travail des internes)
📊 Réalité du terrain : dépassements fréquents
Malgré ce cadre réglementaire, les enquêtes de l’ISNI révèlent des dépassements significatifs :
59 heures de travail par semaine en moyenne pour les internes.
10 % des internes déclarent travailler plus de 80 heures par semaine.
Par spécialité :
o Médecine générale : 50 heures hebdomadaires en moyenne.
o Spécialités médicales (rhumatologie, cardiologie, gériatrie, neurologie, etc.) : 58 heures.
o Spécialités chirurgicales : 75 heures.
Ces chiffres dépassent largement la limite légale de 48 heures par semaine, mettant en évidence un écart préoccupant entre la réglementation et la pratique.
Par un avis motivé du 28 mars 2014, la Commission européenne avait déjà relevé que plusieurs droits fondamentaux inscrits dans la Directive 2003/88/CE ne sont pas respectés par la France, dans l’organisation du temps de travail des internes (CE MEMO/14/241, 28 mars 2014).
"La Commission européenne a demandé à la France de respecter le droit des médecins en formation à des périodes minimales de repos et à une durée de travail limitée (...) Actuellement, la législation française ne garantit pas aux médecins en formation plusieurs droits fondamentaux prévus par cette directive, comme la limitation de la durée moyenne de travail hebdomadaire à 48 heures. Elle ne tient pas compte de toutes les heures réellement travaillées par les médecins en formation dans l’application de la durée maximale de 48 heures fixée par la directive sur le temps de travail. Les périodes de garde supplémentaires et les heures de cours à l’université ne sont pas couvertes, alors que la directive exige qu’elles soient considérées comme du temps de travail. En outre, la législation française ne permet pas d’assurer un suivi adéquat des heures de travail et complique la tâche lorsqu’il s’agit de vérifier si les hôpitaux se conforment aux règles énoncées par la directive. De ce fait, les médecins en formation font souvent trop d’heures dans les hôpitaux publics français. La demande adressée à la France prend la forme d’un avis motivé en application des procédures de l’Union en matière d’infractions. (...) "
⚖️ Sanctions
Le décret n° 2023-71 du 6 février 2023, publié au Journal officiel le 7 février 2023, introduit des mesures visant à renforcer le contrôle du temps de travail en habilitant les directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) à prononcer des sanctions financières à l’encontre des établissements de santé en cas de persistance ou d’aggravation des manquements aux règles relatives au temps de travail des internes.
La procédure prévoit une mise en demeure de l’établissement concerné, suivie d’une phase contradictoire. La pénalité financière, déterminée par le directeur général de l’ARS, tient compte de la gravité, de la durée et de la répétition des manquements, ainsi que du nombre d’étudiants concernés. Son montant ne peut excéder le total des crédits délégués pour le financement des postes d’étudiants de troisième cycle accueillis sur le lieu de stage concerné.
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