⚖️ Réforme de l’Assurance-Chômage : Encadrement Renforcé des Ruptures Conventionnelles
- Habbine Estelle Kim
- 30 juil.
- 6 min de lecture

La rupture conventionnelle a été introduite dans le Code du travail dans ses Articles L1237-11 à L1237-16 avec la Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail :
"L'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie.
La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties.
Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties."
La rupture conventionnelle :
repose sur un accord mutuel entre l’employeur et le salarié. Elle permet de mettre fin à un contrat à durée indéterminée (CDI) d’un commun accord entre l’employeur et le salarié.
doit être libre, éclairée et volontaire. Aucun des deux parties ne doit subir de pression, de menance ou de violence au moment de la signature de la convention.
peut être demandée par l'employeur
peut être demandée par tous les salariés, y compris :
les salariés protégés (sous réserve d’autorisation de l’inspecteur du travail)
les salariés en arrêt de travail pour cause professionnelle
les salariées en congé maternité.
Exclusions :
Les salariés en CDD (qui peuvent recourir à une rupture anticipée)
Les apprentis
Les salariés en CDI encore en période d’essai
Les agents de la fonction publique (titulaires et contractuels).
Cependant, ce dispositif peut être contesté par le salarié devant le Conseil de Prud’hommes, notamment en cas de vice de consentement sous un délai de 12 mois à compter de la date d’homologation.
Avant l’instauration de ce dispositif, le salarié n’avait que deux options :
Démissionner, en renonçant à ses droits aux allocations chômage
Être licencié.
Procédure
La rupture conventionnelle est encadrée par une procédure stricte :
Entretien(s) préalable(s) entre le salarié et l’employeur, afin de discuter librement des conditions de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée (CDI).
Signature d’une convention de rupture, précisant les modalités de la séparation et le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle, qui ne peut être inférieure à l’indemnité légale de licenciement ou conventionnelle.
Délai de rétractation de 15 jours calendaires, pendant lequel chacune des parties peut revenir sur sa décision ;
Demande d’homologation adressée à l'administration
Délai d’homologation administrative de 15 jours ouvrables, à compter de la réception du dossier par la DREETS (ex-DIRECCTE).
Pendant le délai d’homologation, le salarié continue à exercer normalement son activité. Le contrat de travail reste pleinement en vigueur jusqu’à la date fixée de fin de contrat, telle que mentionnée dans la convention de rupture.
⚠️ La date de fin de contrat ne peut pas être modifiée ou reportée en cas de suspension du contrat de travail (congé payé, arrêt maladie, congé pour événement familial, etc.).
En l'absence de réponse dans le délai imparti, la convention est réputée homologuée.
En cas de refus d’homologation par l’administration, la décision doit mentionner les raisons justifiant ce refus (par exemple, non-respect d'une étape de la procédure ou non respect du montant minimum de l'indemnité de rupture conventionnelle).
Une fois la rupture homologuée, le salarié peut bénéficier des allocations chômage versées par France Travail (ex-Pôle emploi), à condition de remplir les critères d’éligibilité, notamment avoir exercé une activité salariée pendant au moins 6 mois (soit 130 jours travaillés ou 910 heures travaillées) au cours des 24 derniers mois (36 derniers mois pour un salarié âgé d'au moins 55 ans).
durcissement des conditions envisagé par le gouvernement français
Dans le cadre de la réforme de l’assurance chômage, le gouvernement, sous l’impulsion de François Bayrou et de la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet, prépare une refonte du dispositif de la rupture conventionnelle.
Objectifs : corriger les abus, réduire les dépenses publiques, et garantir un usage plus encadré de ce mode de séparation à l’amiable.
La rupture conventionnelle, aujourd’hui largement utilisée dans le secteur privé, est de plus en plus critiquée pour ses dérives opportunistes et son coût croissant pour les finances publiques.
Le gouvernement envisage un ensemble de mesures structurantes, visant à limiter l’attractivité excessive du dispositif et responsabiliser davantage les employeurs, notamment dans une logique de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Les principales pistes de réforme sont comme suit :
Allongement du délai de rétractation, actuellement de 15 jours, afin de renforcer le caractère réfléchi du consentement.
Encadrement administratif renforcé, notamment dans les TPE/PME et les secteurs à fort taux de ruptures.
Contrôle a priori plus rigoureux pour éviter les ruptures frauduleuses ou abusives.
Prévention des ruptures massives dans certaines entreprises en difficulté.
Allongement du délai de carence avant ouverture des droits au chômage (aujourd’hui de 7 jours à 5 mois selon les indemnités versées), pour limiter les départs dits "de convenance".
Plafonnement des indemnités
Révision du montant et de la durée des allocations, avec une possible baisse des droits ouverts.
Augmentation de la contribution patronale
Restriction d’accès pour certains profils : salariés en arrêt maladie, seniors, cas de ruptures répétées.
Nouvelle durée minimale d’affiliation : 8 mois d’activité sur les 20 derniers mois (contre 6 mois sur 24 actuellement), conduisant à une réduction de la durée maximale d’indemnisation à 15 mois.
En parallèle, les autorités administratives adoptent désormais une vigilance accrue lors de l’homologation des ruptures conventionnelles.
Des refus peuvent être prononcés si la rupture vise à éviter un licenciement économique ou contourner un PSE.
Un usage massif dans des entreprises en difficulté peut déclencher une enquête.
Raisons de la réforme envisagée
Le gouvernement entend réformer l’assurance chômage dans le cadre de sa politique de rationalisation des dépenses publiques en vue de générer :
Entre 2 et 2,5 milliards d’euros d’économies par an sur la période 2026–2029 ;
Jusqu’à 3 à 4 milliards d’euros d’économies annuelles à l’horizon 2030.
Dans ce contexte, il convient d'observer la tendance à la hausse des ruptures conventionnelles, confirmée par les dernières statistiques disponibles :
Nombre de ruptures conventionnelles :
2019 : 439 464
2020 : 428 296
2021 : 467 503
2022 : 503 465
2023 : 514 854
2024 : 514 627
(soit +17,1 % d’augmentation de 439 464 à 514 627 ruptures conventionnelles)
Nombre de démissions (à titre comparatif):
2019 : 1 748 113
2020 : 1 407 010
2021 : 1 801 824
2022 : 2 147 635
2023 : 2 172 099
2024 : 2 041 573
(soit +16,78 % d’augmentation de 1 748 113 à 2 041 573 démissions)
(toutes tailles confondues, toutes secteurs) selon les données publiées par la Dares, un service statistique ministériel faisant partie du service statistique public (SSP).
Effectivement, le dispositif de rupture conventionnelle est aujourd'hui critiqué pour des usages détournés, notamment lorsqu’il est utilisé pour contourner un licenciement – parfois déguisé ou arrangé – ou encore pour masquer une démission, tout en ouvrant droit aux allocations chômage. Ces pratiques, plus fréquentes en période de tensions économiques, soulèvent des préoccupations croissantes quant à l’équité du système et contribuent à fragiliser la soutenabilité financière de l’assurance chômage.
Dans ce contexte, la réforme de l’assurance chômage en cours vise à mieux encadrer le recours à la rupture conventionnelle, en prévoyant de nouvelles règles et des dispositifs de contrôle renforcés. L’objectif est clair : éviter tout détournement du mécanisme à des fins de négociation financière ou de revenu d’attente.
Suppression ou réforme ?
La ministre chargée du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, a souligné sur BFMTV/RMC que les ruptures conventionnelles représentent près de 25 % de l’indemnisation chômage, un chiffre jugé préoccupant dans le contexte budgétaire actuel.
« Nous voulons que l’indemnisation redevienne un tremplin vers l’emploi, non un financement durable des ruptures de convenance. » — Astrid Panosyan-Bouvet, Ministre du Travail et de l’Emploi
Elle a également pointé du doigt le niveau des indemnités, jugées plus élevées que pour d’autres types de rupture de contrat, ainsi qu’une durée d’indemnisation plus longue :
15 mois pour une rupture conventionnelle,
contre 14 mois pour un licenciement économique,
et 13 mois pour une démission volontaire(selon les données de l’Unédic).
« Un prolongement du délai de carence fait partie des solutions qui pourraient être envisagées », a déclaré la ministre.
Interrogé sur Franceinfo le 29 juillet, Patrick Martin, président du Medef, a réagi aux discussions autour de la réforme de la rupture conventionnelle. S’il reconnaît l’existence de "comportements déviants" dans l’usage de ce dispositif, il appelle à la modération :
« Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Il faut corriger le dispositif sans fondamentalement le remettre en cause. » — Patrick Martin, président du Medef
Il plaide donc pour une réforme ciblée, sans remise en cause structurelle du mécanisme.
C'est ainsi que plusieurs pistes de réforme sont évoquées à ce jour, notamment l’allongement du délai de carence, c’est-à-dire la période avant le démarrage effectif de l’indemnisation chômage. Cette mesure permettrait de décourager les départs de convenance et de réduire la pression financière sur le système d’assurance chômage.
Il rappelle par ailleurs que rupture conventionnelle a permis d’apaiser le marché du travail en réduisant les tensions entre employeurs et salariés :
« On voit que le nombre de contentieux aux prud’hommes a beaucoup baissé grâce à ces ruptures conventionnelles. » — Patrick Martin, président du Medef
Il apparaît pertinent de préserver le principe de la rupture conventionnelle, qui a largement contribué à fluidifier les fins de contrat de travail tout en réduisant le contentieux prud’homal. Cependant, face aux usages détournés et à un impact budgétaire croissant, le gouvernement juge indispensable d’en réviser les modalités d’application en vue de corriger les dérives. L’objectif de la réforme est clair : maintenir une flexibilité contractuelle pour les entreprises, tout en garantissant la soutenabilité du régime d’assurance chômage et en préservant les principes de solidarité nationale.




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