CJUE : Recours en annulation de la Directive (UE) 2022/2041 sur le salaire minimum adéquat
- Habbine Estelle Kim
- 31 juil.
- 4 min de lecture

La Commission européenne a présenté sa proposition de Directive (UE) 2022/2041 en octobre 2020, dans le prolongement de l’engagement politique formulé par la Présidente Ursula von der Leyen en faveur de l’instauration d’un « salaire minimum équitable » au sein de l’Union européenne. Elle a également exprimé sa volonté de « promouvoir les négociations collectives en matière de salaires dans tous les États membres ». Ladite Directive vise à instaurer un cadre harmonisé tout en respectant la souveraineté des États membres dans la fixation des salaires minimaux adéquats, face aux inégalités salariales et à la nécessité d’assurer un niveau de vie décent pour les travailleurs. La directive préconise une mise à jour régulière des salaires minimums, l’adoption de critères transparents pour leur fixation, ainsi que la consultation obligatoire des partenaires sociaux. Elle recommande également l’utilisation de valeurs de référence indicatives, telles que 60 % du salaire médian brut ou 50 % du salaire moyen brut.
La Directive distingue deux dimensions clés de l’adéquation du salaire minimum :
La dimension relative, qui compare le salaire minimum aux salaires de la population active, et qui tend à se renforcer avec la convergence vers les valeurs de référence.
La dimension absolue, qui évalue si le salaire minimum assure un niveau de vie décent en tenant compte du coût de la vie, de la composition du ménage, des revenus complémentaires et des systèmes fiscaux et sociaux.
Recours en annulation de la directive devant la CJUE
Conformément au principe d’attribution consacré à l’article 5§2 TUE, l’Union européenne ne peut intervenir que dans les domaines confiés par les traités.
Le Danemark, soutenu par la Suède, a introduit un recours en annulation fondé sur l’article 263 TFUE demandant à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’annuler intégralement la Directive (UE) 2022/2041, au motif que le Parlement européen et le Conseil auraient excédé leurs compétences (Affaire C‑19/23). Selon les requérants, les articles 153§1(b) et 153§2(b) TFUE permettent au Parlement européen et au Conseil de fixer des prescriptions minimales dans le domaine des conditions de travail. Toutefois, l’article 153§5 TFUE exclut explicitement la compétence de l’UE en matière de rémunérations.
Dans ce contexte, l’avocat général Nicholas EMILIOU conclut le 14 janvier 2025 que :
La directive outrepasse les compétences attribuées à l’Union, notamment en régissant, même de manière indirecte, le domaine des rémunérations. La directive (UE) 2022/2041 serait, de ce point de vue, incompatible avec l’article 153§5 TFUE, lequel exclut explicitement toute harmonisation en matière de rémunération. Elle méconnaîtrait ainsi le principe d’attribution, énoncé à l’article 5§2 TUE, selon lequel l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées.
Les dispositions de l’article 4§1(d) et 4§2 de la Directive 2022/2041 peuvent être considérées comme détachables du reste du texte. Leur annulation n’affecterait pas la cohérence ni l’applicabilité des autres articles, qui pourraient continuer à produire leurs effets. Ainsi, et à titre subsidiaire, si la Cour estimait qu’une annulation partielle est suffisante, il est suggéré qu’elle accueille la demande subsidiaire du Royaume de Danemark et procède à l’annulation des seules dispositions précitées, sans remettre en cause l’ensemble de la Directive.
Le législateur de l’Union n’aurait pas pu valablement fonder la Directive (UE) 2022/2041 sur l’article 175 TFUE. En effet, cette disposition vise principalement à renforcer la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union, notamment par l’allocation de fonds de l’Union. La directive 2022/2041 n'aurait pu être adoptée sur la base de cette disposition au seul motif qu’elle visait à réduire l’écart entre les niveaux socio‑économiques dans l’ensemble de l’Union, à promouvoir la convergence vers le haut et à faciliter un développement plus harmonieux de l’Union. Par ailleurs, selon une jurisprudence constante de la CJUE, lorsqu’une disposition du traité exclut expressément l’harmonisation dans un domaine donné, le législateur ne saurait recourir à une autre base juridique de manière à contourner cette exclusion. Or, l’article 153§5 TFUE (lex specialis) exclut explicitement toute harmonisation en matière de rémunération. En se fondant sur l’article 175 TFUE, disposition plus générale, pour réglementer indirectement les salaires, le législateur aurait contrevenu à cette règle d’interprétation, en élargissant indûment le champ de compétence de l’Union.
Que disent les statistiques?
Selon les données d’Eurostat, au 1er juillet 2025, les États membres de l’Union européenne se classent en trois groupes distincts selon le montant de leur salaire minimum national brut mensuel :
Groupe supérieur à 1 500 € / mois : Luxembourg, Irlande, Pays-Bas, Allemagne, Belgique et France, avec un salaire minimum compris entre 1 802 € (France) et 2 704 € (Luxembourg).
Groupe intermédiaire de 1 000 € à 1 500 € / mois : Espagne, Slovénie, Pologne, Lituanie, Grèce, Portugal et Chypre. Les salaires varient de 1 000 € à Chypre à 1 381 € en Espagne.
Groupe inférieur à 1 000 € : Croatie, Malte, Estonie, République tchèque, Slovaquie, Roumanie, Lettonie, Hongrie et Bulgarie, avec des niveaux allant de 551 € en Bulgarie à 970 € en Croatie.
Entre juillet 2015 et 2025, la croissance moyenne annuelle des salaires minimums a été particulièrement forte dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale, notamment :
Roumanie (+13,0 %),
Lituanie (+12,3 %),
Bulgarie (+11,0 %),
Pologne (+10,2 %).
À l’inverse, des pays comme la France (+2,1 %) et Malte (+2,9 %) ont connu une progression plus modérée.
sur le salaire minimum dans l’Union européenne
Q1 : Quels pays de l’UE n’ont pas de salaire minimum national ?
Danemark, Italie, Autriche, Finlande et Suède
Q2 : Quelle est la fourchette de salaire minimum en Europe ?
Au 1er juillet 2025, les salaires minimums vont de 551 € en Bulgarie à 2 704 € au Luxembourg.
Q3 : Comment la directive européenne influence-t-elle la fixation des salaires minimums ?Elle impose des critères transparents, des mises à jour régulières et la consultation des partenaires sociaux, tout en proposant des valeurs de référence indicatives pour guider les États.
Q4 : Quels sont les défis liés à l’adéquation des salaires minimums ?
Garantir un niveau de vie décent nécessite de prendre en compte non seulement le salaire minimum mais aussi le coût de la vie, la composition familiale et les systèmes fiscaux et sociaux.




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