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Charge de preuve – Responsabilité médicale

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Selon l'arrêt de principe Mercier, la Haute juridiction a reconnu que la relation unissant le médecin à son patient revêt une nature contractuelle, faisant naître à la charge du praticien une obligation de soins, laquelle s’analyse comme une obligation de moyens :


« attendu qu’il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant, pour le praticien, l’engagement, (…) de guérir le malade, (…) du moins de lui donner des soins, non pas quelconques (…) mais consciencieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science ; que la violation, même involontaire, de cette obligation contractuelle, est sanctionnée par une responsabilité de même nature, également contractuelle (…) » 


(Cass. civ., 20 mai 1936, Dr Nicolas c/ Mercier)


Depuis l’adoption de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, dite loi Kouchner, complétée par celle du 30 décembre 2012, le droit de la responsabilité médicale a connu une évolution notable visant à faciliter l’indemnisation des victimes d’un accident ou d’une erreur médicale. Ce dispositif législatif a institué notamment l’accès à la Commission Régionale de Conciliation et d’Indemnisation (CRCI) ainsi qu’à l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM), permettant une prise en charge élargie, même en l’absence de faute, dans certains cas. Depuis cette réforme, le régime de responsabilité des professionnels de santé est désormais régi par un principe délictuel autonome, conformément aux dispositions de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1er du Code de la santé publique, selon laquelle les professionnels de santé ne peuvent voir leur responsabilité engagée qu'en cas de faute dans la réalisation de l’acte médical, sauf lorsque celle-ci résulte d’un défaut de produit de santé.


Ce régime restait tributaire d’une exigence probatoire classique : la charge de preuve de la faute incombait au patient (demandeur).


C’est précisément sur ce point que la Cour de cassation opère un revirement jurisprudentiel en 2024, en consacrant une présomption réfragable de faute en cas de défaillance dans la traçabilité des soins.

(CCass., Civ., Ch.1., 16 octobre 2024, n° 22-23.433)


L'affaire précitée est intervenue dans le cadre d’un litige consécutif à des complications postopératoires survenues à la suite de la rupture d’une broche guide métallique au cours d’une intervention d’arthroscopie de hanche. En raison de douleurs persistantes, le patient a ultérieurement subi une arthroplastie. S’appuyant sur un rapport d’expertise judiciaire et sur les recommandations émises par la Société Française d’Arthroscopie, les juges du fond ont relevé que l’intervention devait, conformément aux bonnes pratiques, débuter par une injection d’air suivie d’une injection de sérum physiologique dans l’articulation. Or, cette étape préparatoire n’était pas mentionnée dans le compte-rendu opératoire, bien que le praticien ait affirmé y procéder de manière systématique.


Par arrêt en date du 29 septembre 2022, la première chambre, section 6, de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait estimé que le dommage subi par le patient pouvait résulter soit d’une particularité anatomique individuelle, soit d’un manquement du praticien aux recommandations précitées. Toutefois, en l'absence de preuve certaine d’un tel manquement, la cour avait conclu à l'absence de faute imputable au chirurgien, et écarté ainsi sa responsabilité :


« l'état séquellaire de M. [E], en lien direct avec la rupture de la broche pouvait avoir deux origines distinctes, soit sa constitution anatomique, étant de surcroît atteint d'arthose, soit un manquement du chirurgien qui n'aurait pas suivi la recommandation de la SFA, ce qui ne constituait qu'une hypothèse, non avérée, de sorte que le patient n'établissait pas l'existence d'une faute du chirurgien. »


La première chambre civile de la Cour de cassation, au visa des articles L. 1142-1, I, alinéa 1er du Code de la santé publique et 1353 du Code civil, a censuré cette analyse. Elle a rappelé que le médecin est tenu de dispenser des soins appropriés, entendus comme étant conformes aux données acquises de la science. La Haute juridiction a estimé que le manquement à cette obligation peut être présumé, notamment lorsque le compte-rendu opératoire est lacunaire, ce qui empêche le patient de vérifier que les soins dispensés ont effectivement respecté les standards scientifiques requis.


« Il résulte de ces textes que les professionnels de santé sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins en cas de faute et que la preuve d'une faute comme celle d'un lien causal avec le dommage invoqué incombe au demandeur. Cependant, dans le cas d'une absence ou d'une insuffisance d'informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci ou ses ayants droit dans l'impossibilité de s'assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés, il incombe alors au professionnel de santé d'en rapporter la preuve. (…) En statuant ainsi, alors que, en l'absence d'éléments permettant d'établir que la recommandation précitée avait été suivie, il appartenait au médecin d'apporter la preuve que les soins avaient été appropriés, la cour d'appel a violé les textes susvisés.»


Par cette décision, la Haute juridiction opère un renversement de la charge de la preuve : il appartient désormais au professionnel de santé de démontrer la conformité des soins prodigués aux données acquises de la science, dès lors que les éléments du dossier médical ne permettent pas d'en établir la preuve. Une telle solution revient à ériger en présomption la faute du praticien en cas de défaillance dans la traçabilité des soins. 


Cette évolution marque une inflection majeure dans l’appréciation de la responsabilité médicale, et soulève plusieurs interrogations. Elle interpelle notamment sur la nature même de la faute : réside-t-elle de l’inobservation des recommandations scientifiques, ou de la carence dans la traçabilité des soins ?


La portée de cette jurisprudence est considérable. En instituant une présomption de faute en cas d’insuffisance du compte-rendu opératoire, la Cour de cassation impose aux professionnels de santé à une vigilance accrue en matière de rédaction des dossiers médicaux et de traçabilité des actes. Le respect des recommandations professionnelles et des protocoles doit désormais être documenté de manière rigoureuse, afin de pouvoir, en cas de litige, inverser la présomption de faute et prouver que les soins étaient effectivement conformes aux exigences scientifiques.


À ce titre, l’article R. 4127-8 du Code de la santé publique rappelle que tout médecin est tenu de prodiguer des soins :


« Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance.


Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins.


Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles.»


Ce revirement jurisprudentiel, s’il participe indéniablement au renforcement des droits des patients (notamment le droit à la liberté de choix, à l’information, et de recevoir des soins de qualité) impose aux professionnels de santé une obligation renforcée de traçabilité et de transparence de l’information médicale.   


Dans ce contexte, il devient impératif pour les professionnels de santé d’observer une exigence renforcée de rigueur tant dans le recueil du consentement éclairé, que dans la rédaction des comptes-rendus opératoires, et plus généralement dans la formalisation écrite des pratiques cliniques.

 
 
 

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